Sociologie du vote au premier tour de la Présidentielle 2017

77,8% des électeurs se sont rendus aux urnes le 23 avril, une participation inférieure aux scrutins 2007 (83,8%) et 2012 (79,5%). Si la tendance n’est pas bonne, on reste tout de même 6 points au-dessus du record d’abstention de 2002. Par rapport à la série d’enquêtes pré-électorales, la thèse d’un sursaut participatif en toute fin de campagne, porté par le vote utile, est crédible. Si 30% des électeurs ne revendiquent aucune proximité partisane, 15% se déclarent proches du PS, soit un contingent équivalent aux sympathisants LR ou FN, et deux fois plus important que les sympathisants PC/FG ou EM (7,5% chacun).

Le premier tour du cru 2017 de l’élection Présidentielle fut historique, surtout par le score sans précédent du FN et de Marine Le Pen : 21,5%. Dans un scrutin où la participation a été nettement plus forte qu’en 2002, elle se qualifie pour le second tour en recueillant les suffrages de plus d’un électeur sur cinq. Marine Le Pen a obtenu 7,6 millions de voix, un million de plus que son précédent record de 2012. Elle est arrivée en tête dans 52 départements, dont 12 où elle a dépassé les 30%. 40% de ses électeurs n’avaient pas voté FN en 2012.

Marine Le Pen a convaincu une bonne partie de la France « d’en bas », réfractaire à la mondialisation, ressentant un besoin de protection et convaincue du bienfondé du repli sur soi. Son score aurait été encore « meilleur » sans la performance de Jean-Luc Mélenchon qui l’a fortement concurrencée sur cet électorat, comme chez les jeunes. La sociologie de l’électorat frontiste est maintenant connue : près de 40% des ouvriers ont voté Le Pen, un employé sur trois, le tiers des bas revenus, 30% de ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures, un quart de l’ensemble des salariés (et presque autant dans le public que dans le privé). « Marine » a été la candidate n°1 de ceux qui ont le sentiment d’exercer une profession en déclin, de ceux qui s’en sortent difficilement avec les revenus du ménage, de ce qui pensent que la jeune génération vivra moins bien qu’eux.

A l’opposé, Emmanuel Macron a capté le vote d’une France « optimiste » et ouverte sur le monde, d’avis que la mondialisation est une chance, ou qu’en tous cas on ne doit pas faire marche arrière. Son électorat est très large, avec une belle homogénéité des scores sur l’ensemble des catégories socio-démographiques. Il recueille autour de 25% des suffrages dans toutes les catégories d’âges, dans les villes et presque autant en zones rurales, sur l’ensemble des actifs, des retraités, des salariés… Les meilleurs scores sont enregistrés chez les cadres (37%) et les plus diplômés (2e et 3e cycles, 35%), seules les PCS- (18% chez les employés, 15% chez les ouvriers), les non-bacheliers (17%) et les chômeurs (14%) ont été sensiblement moins convaincus. Les PCS- sont aussi les seules catégories où il est aujourd’hui devancé dans les intentions de vote second tour par Marine Le Pen (55%/45% chez les employés, 60%/40% chez les ouvriers).

Politiquement, l’électorat d’Emmanuel Macron est très largement de gauche, au sens Parti démocrate américain du terme. Un tiers de ceux qui ont voté pour lui au premier tour se déclarent proches du PS et de ses alliés, un tiers se déclarent proches d’En Marche, 10% proches du Modem, 10% proches d’aucun parti. Au final, les sympathisants clairement de droite n’ont représenté que 10% de l’ensemble de ses électeurs. Emmanuel Macron a capté le vote de plus de 40% des sympathisants socialistes, presque autant que Benoît Hamon (25%) et Jean-Luc Mélenchon (25%) réunis.

Fort de 19,6% des suffrages, Jean-Luc Mélenchon a permis à la gauche « radicale » d’obtenir son meilleur score depuis 1969. Il a réussi à concurrencer Marine Le Pen chez les jeunes et dans les catégories populaires, tout en aspirant l’électorat plus traditionnellement enclin à voter socialiste au sein des actifs et des PCS+. La porosité entre l’électorat Hamon et Mélenchon a été très importante, vers Hamon au sortir de la primaire, vers Mélenchon pendant la campagne électorale. Le vote utile a démonétisé la candidature Hamon, la perte d’une première vague d’électeurs vers Emmanuel Macron au moment du retrait de François Bayrou (jouer la gagne, devancer Fillon) a été décisive. Elle a tassé le candidat PS sous les 15%, à portée d’un retour de Mélenchon, quasiment jamais tombé sous les 10%. Quand les courbes se sont croisées, la chute de Benoît Hamon a été vertigineuse, avec une perte moyenne d’1 point tous les 3 jours. La bascule s’est faite au moment du premier débat télévisé (20 mars), mais Jean-Luc Mélenchon était revenu au coude à coude une semaine avant. Les Insoumis ont fait la meilleure campagne, l’accord du PS avec EELV a permis de retarder l’échéance.

Dans le contexte Fillon / Le Pen, le vote utile l’a donc emporté sur le vote pour. Symptomatiquement, l’éclatement des thèmes de campagne restera comme une caractéristique du scrutin 2017. L’insécurité s’était imposée en 2002 (la question avait déterminé le choix de 58% des électeurs), le chômage et le pouvoir d’achat en 2007 (en tête des enjeux avec plus de 40% de citations chacun), le pouvoir d’achat et la crise économique et financière en 2012 (respectivement 46% et 42% de citations)[1]. Cette année les enjeux ont été multiples, propres à chaque électorat, et aucun n’est vraiment sorti du lot. L’environnement a même été relégué au second plan.

Les mesures d’intentions de vote réalisées depuis le 1er tour confirment le statut de  favori du leader d’En Marche, pour sera probablement le huitième Président de la Vème République. Crédité de 60% d’intentions de vote, il devance Marine Le Pen (40%) de 20 points. La matrice de reports de voix entre le premier et le second tour est très favorable à Emmanuel Macron : 60% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, la moitié des électeurs de François Fillon, 80% des électeurs de Benoît Hamon ont l’intention de voter pour lui. Et la quasi-totalité de ceux qui choisissent Emmanuel Macron déclarent que leur choix est définitif. Même les électeurs de Marine Le Pen sont partagés sur les chances de victoire de leur candidate : si 40% d’entre eux pensent qu’elle va gagner, la même proportion voient plutôt une victoire d’Emmanuel Macron.

[1] Données Ipsos